Mémoire de fille

Après toutes ces pérégrinations chinoises, il me fallait quelque chose de familier, de connu et reconnu, un petit bout de moi, et en français, si possible. Je suis tombée dessus sans le chercher dans ma bibliothèque préférée tout près ( j'ai aussi une bibliothèque préférée tout loin, pour info, même si tout le monde s'en fout....): Mémoire de fille, d'Annie Ernaux.

Si avec Ma Jian, on était dans une forme d'écriture très peu littéraire, là, pour le coup, on plonge dans LA littérature pour de vrai. Annie Ernaux livre des écrits toujours très travaillés, ciselés, réfléchis, bien que très elliptiques.

J'ai lu Les Années il y a quelques mois, et ça a été un des coups de foudre de 2015. Elle y racontait sa vie, en se basant pour chaque "décennie" surune photo d'elle, observée et décrite de façon très factuelle. En prenant une telle distance, c'était nos souvenirs à nous tous qu'elle venait réveiller. Une sorte d'autobiographie trancendante.

Dans un interview sur Télérama, la critique Nathalie Crom, dit d'elle: " Depuis plus de 40 ans, l'écrivaine se raconte pour tendre à l'autre un miroir ." Certes, ça n'est pas la première. Certes, c'est là l'un des buts de la lecture et de la littérature. Oui, mais elle, elle y arrive très, très bien, mieux que les autres à mon avis, et en plus, avec une narration que je n'ai absolument jamais vue ailleurs ( en même temps, je ne suis pas Bernard Pivot non plus, mais bon) et qui me parle.

 Dans Mémoire de fille, elle s'attaque au "gros morceau" de sa première expérience sexuelle, un tourbillon qui va la remuer jusqu'au tréfond de ses convictions et faire d'elle, en deux années, la femme qu'elle est devenue. La longue et pénible éclosion d'une fille de 58- le livre qu'elle avoue elle-même avoir cherché à écrire pendant +40 ans sans jamais y arriver. 

En résulte un récit sérieux ( ne vous attendez pas à pleurer de rire, aucune chance...), mais évanescent comme un souvenir, avec un jeu de narration très impressionant, mais travaillé jusqu'en devenir évident, limpide: on passe d'Annie Ernaux narratrice auteur à Annie Duchesne , du je à elle, du passé au présent,dans des aller- retours incessants qui calment ses peines- et les nôtres avec.

Cette femme incroyable, Annie Ernaux d'Yvetot, écrivain , féministe, réussit le tour de force de nous raconter sa vie si singulière de façon à ce que  nous nous y retrouvions tous dedans. 

De son éclosion, elle dit: " J'ai commencé à faire de moi-même un être littéraire, quelqu'un qui vit les choses comme si elles devaient être écrites un jour. "

Plus loin, parlant de l'écriture:" [...] le geste inaugural. Ce récit serait donc celui d'une traversée périlleuse , jusqu'au port de l'écriture. Et, en définitive, la démonstration édifiante que, ce qui compte, ce n'est pas ce qui arrive, c'est ce qu'on fait de ce qui arrive." Il suffisait de le dire....Le récit d'Annie Ernaux, c'est de l'autobiographie collective. Une prouesse.

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After all these Chinese "peregrinations", I needed something familiar, something French. I hit upon it without looking for it at my favourite closest library ( i do have a favourite farthest library too, though nobody gives a damn, I guess): Annie Ernaux, Mémoire de fille

Ma Jian offered us an "unliterary account". Annie Ernaux helps us dive headfirst into Literature. She is a hard-working author, chiselling, precisely shaping her somehow elliptic narrative. 

I read Les Années a few months ago ( one of my 2015 favourites), which is an account of her life based on a very factual and matter-of-fact description of a picture of herself to illustrate each decade. This hindsight allows us to delve into our own memories. Les Années , along with Mémoire de fille, are   transcending autobiographies. She may not be the first one to do so. This is indeed one of literature's main aim. It may be so. But I reckon she is the one who does it best, much better than anyone else I have read in any case ( that being said, i am by no means an expert....!). 

In Mémoire de fille, she tackles this momentous first sexual experience, a swirl which is going to blow up all her certitudes, and within 2 years, allow the woman she has become to be born. The long and painful birth of a 1958 woman- the book she confesses having meant to write for 40 years without ever managing.

In an interview given to Telerama, the critic Nathalie Crom writes: " For the past 40 years, she ( Annie Ernaux) has been telling her own story as a mirror held to other people." ( please, do forgive my awkward translation, I do my best....)

This results in a serious book ( do not expect to laugh your head off, no chance whatsoever), though hazy and eerie as a memory. The narrative is impressively technical, though so much worked upon and smoothed as to become obviously clear: you constantly skip from Annie Ernaux, author and narrator, to Annie Duchesne , from I to she, from past to present, in endless back and forth movements that soothe her pains - and ours as well.

This incredible woman, Annie Ernaux from Yvetot, writer, feminist, achieves the overwhelming task to tell us her unique and peculiar life and make us feel it is our own life we are reading about.

Talking about this "birth", she says: "I started turning myself into a literary being, someone who lives things as though they were meant to be written some day."

Further on, telling us about the act of writing:" [...] this inaugural gesture. This story would thus be that of some perilious journey , to the port of writing. And , actually, the edifying demonstration that what really counts eventually is not what happens, but what we do with it." It had to be said. Annie Ernaux is writing collective autobiographies. A prowess.