Joan Baez is still alive....

 Pendant 4 mois, quand j'annonçais fièrement que j'allais voir joan Baez en concert, on me répondait invariablement:

"Ah bon, elle est toujours vivante?"

La première fois, c'était en anglais. La 2ème fois, c'était en français. La 3ème fois, j'ai dit stop.

Replaçons les choses dans leur contexte. 1971: j'ai 1 an . Problème : je galope déjà, mais pour ce qui est de parler, c'est pas encore ça. Alors imaginez écrire.....La frustration devait être immense. Enfoncer mes doigts dans les prises et vider toutes les étagères à ma taille de leur contenu.... pas assez créatif tout ça. DONC, j'ai chanté. Pardi. Logique. En 71, il y avait, au hasard...Joan Baez. 

Sacco & Vanzetti. Here's to you. Ma tante était fan. Elle passait les 4 phrases de la ritournelle en boucle sur son tourne disque. Bingo. J'ai donc fredonné Joan Baez avant de savoir parler. C'est malin tiens. Tu parles d'un départ en trombe. Révolutionnaire dès le départ.

Et puis...et puis je ne me suis jamais arrêtée. Ni de chanter sous ma douche ( et au volant), ni d'écouter Joan Baez, ni de parler anglais, ni de révolutionner tout et n'importe quoi. J'ai essayé d'apprendre la guitare sans jamais parvenir à grand chose. Je suis allée voir le Bob ( Dylan himself) en concert au Point Depot de Dublin. J'ai étudié la marche des droits civiques , et le "I have a dream" de Martin en long, en large, en travers et même sur les côtés, j'ai rêvé New York et j'ai vu New York, je me suis fait une spécialité de la littérature afro-américaine, j'ai vu Ginsberg, fait 50 exposés sur Woodstock, .-toujours avec Joan Baez en toile de fond.

Que je suis allée voir à Toulouse fin 90- début 2000 dans la superbe salle de la Halle aux grains pour le superbe disque Ring them bells. Un délice.

Dieu merci, Joan Baez a une carrière d'une longévité exceptionnelle et une tendance très marquée à reprendre un morceau différent chaque fois qu'elle monte sur scène , c'est à dire souvent . Si possible dans la langue du pays. Ce qui assure un répertoire infini et des surprises et découvertes constantes.

Donc, me voilà décidée à aller (re)voir Joan Baez TOUJOURS VIVANTE, toujours debout, à Albi. Pause guitare

Avec notre Francisse local d'Astaffort, j'ai nommé Cabrel. Pas sûr que je serais allée le voir seul. Et pourtant, LA bonne surprise! On devrait juste arrêter de lui demander de passer à la télé et de répondre à des interviews, à ce Dartagnan gascon de chez nous. Clairement, cet homme n'est pas fait pour ça. Depuis 79, je vois ce pauvre Cabrel répondre à des questions abjectes avec une tête d'enterrement et des propos monosyllabiques. On dirait un oiseau tombé de son arbre.

Sur scène, transformation radicale. J'ai découvert Cabrel. Il avait la banane ET la patate. C'est un vrai bon musicien, entouré de vrais bons musiciens, et il assure comme une bête sur scène: c'est son élément, c'est pour ça qu'il est là. Et on chantait tous quasi tous les morceaux par coeur, comme par miracle. Je suis bien obligée d'avouer que je trouve la poésie de Cabrel un peu facile parfois, mais en même temps, il a jamais prétendu être Rimbaud. Comme dans tout concert, on avait autour de nous des fans très extravertis extraordinairement extrasonores. Cela dit, je conçois pas un concert sans au moins un fan extrasonore ou un punk à chien qui se jette dans le public. Là, y'avait pas le punk à chien, mais il y avait 2 fans extrasonores . La classe. Dans ces cas-là, il suffit de chanter et danser plus fort qu'eux avec conviction.

Au milieu du concert de Francisse, on a vu débarquer une toute petite femme en bermuda façon j'ai-coupé-mon-jean-trop-vieux, et des cheveux tout blancs: Mme Joan Baez était venue mettre son grain de sel. Un petit tour et puis s'en va.

Puis s'en revient. Bon, niveau musique, ce coup-là, on était encore un cran au-dessus: Dylan a toujours dit que c'était une guitariste hors pair, et il avait raison. Je me suis toujours demandée comment cette femme faisait pour émettre le son de 3 guitares en étant tout à fait seule sur scène. Pardi: elle sait juste jouer.

J'ai donc vu Joan Baez, 75 ans, prendre son pied sur scène. C'est très impressionnant de voir quelqu'un qui est de toute évidence né pour ça: on comprend tout à coup très clairement pourquoi on n'est pas à sa place!!! Evidemment, sa voix d'il y a 15 ans a pris un léger voile: bizarrement, ça l'a menée vers quelque chose de nouveau et de beau. Pour le reste, Joan Baez, à son âge, est clairement là pour s'amuser et prendre du bon temps: "Avant pour monter sur scène, je mettais des lentilles. Maintenant j'en ai plus rien à faire." Les vers de Rutebeuf ont été un peu écorchés au passage, mais tout le monde s'en foutait: c'était beau ET drôle, sous les étoiles et la chaleur d'un soir d'été, dans le Sud.

Allez donc voir Joan Baez, toujours vivante, toujours debout, carrément en forme. Perso, je veux bien être comme elle à 75 ans....